Dans les labyrinthes d’un hôpital se mélangent joie et peine, bonnes et mauvaises nouvelles, naissance et décès. Y circulent aussi des bruits, de toute sorte. Des bouts de phrase qui vous font partager avec les autres leurs émotions, frôlant parfois vos propres sentiments et déjà-vu car vous-aussi, vous avez traversé un torrent.
A l’hôpital, se côtoient toute sorte d’individus, tous oeuvrant à la vie (à la survie parfois), à la réparation des blessures, à la guérison quand c’est possible.
Depuis que Stela est née, l’hôpital nous est devenu familier. Pas comme une résidence secondaire à la mer ou à la montagne, mais nous y allons régulièrement pour des rendez-vous de « routine » dont les suivis en ophtalmologie, en neuropédiatrie, en orthopédie aussi car s’est ajoutée à ses nombreuses pathologies une scoliose bien « installée » que le corps médical va tenter de réparer avec un corset. Un corset du type CTM mais je ne sais pas ce que c’est.
Je ne sais pas parce qu’à l’hôpital tout va de plus en plus vite. Des grèves fréquentes des personnels en témoignent … Je ne sais pas parce que l’affiche « Etre soigné, c’est aussi être informé » n’est qu’une affiche. Je ne sais pas parce que quand on pose trop de questions, on vous regarde de travers et nous avons déjà suffisamment de regards gênés et gênants à gérer, par rapport à Stela et sa différence. Nous avons donc appris à poser des questions essentielles et à devoir choisir parmi les questions prioritaires. Voilà comment de l’idée d’un service hospitalier de qualité nous redescendons doucement vers une chaîne peu humaine, telle une usine, où l’on passe plus de temps en salle d’attente qu’en consultation et où le patient n’a pas d’espace pour s’exprimer. Je le vois bien, ce regard tantôt moqueur, tantôt lassé quand je sors ma petite liste de questions (nombreuses, oui !) soigneusement préparée à la maison. Puis, on repart. Et les questions restent. Stela, elle, ne dit rien car elle est non verbale.
Quand on a une intuition bien développée et que l’on sait que là, maintenant, il nous faut la réponse à une question précise (pour saisir une occasion, pour avancer, pour mieux comprendre tout simplement …) et que personne ne répond ou répond partiellement, pire encore en cigles incompréhensibles, et bien on va chercher ailleurs. Ailleurs, c’est dans le monde associatif dont nous faisons maintenant partie avec notre association, créée en mars dernier pour Stela. Et on trouve l’information qui nous explique, très simplement, les choses basiques et qui nous amène, telle une maille s’entre-chevauchant avec une autre, vers une autre solution : une thérapie (alternative donc pas remboursée, bien entendu), une idée de complément alimentaire naturel pour remplacer les médicaments qui tuent la flore intestinale, un article de presse où l’on parle de soutien aux familles d’enfants handicapés, article de presse étrangère bien souvent … On y trouve notre compte mais au final, un monde existe en parallèle de l’autre et l’un se fout royalement de l’autre. Stela, elle, écoute en silence en se laissant porter entre les deux.
On peut ne pas être convaincu de l’efficacité du Neurofeedback. Ne pas soutenir les stages de rééducation intensive. Ne pas approuver le CBD. Ne pas croire en la force du mental qui peut faire des miracles. Ne pas. Mais s’y intéresser et croiser les regards car les deux oeuvrent pour un enfant en souffrance, cela ne coûte rien, non ? Et non, l’hôpital prescrit les pilules et le reste, ce n’est pas leur affaire. On demande peut-être la lune car quand on voit qu’entre services du même CHU, il n‘existe aucune communication, aucun lien, on comprend mieux l’attitude détaché par rapport au monde associatif et thérapies dites alternatives. Un monde trop lointain, sans doute. Sommes-nous sur une planète différente ?
On ne va pas à l’hôpital pour avoir des jugements. On n’y va pas non plus pour entendre des soupirs de compassion venant d’une secrétaire trop fatiguée un lundi matin pour gérer ses propres émotions. Ce n’est pas professionnel, nous n’en avons pas besoin, cela ne devrait pas faire partie du protocole de soins, quelque soit la pathologie. Les soins dispensés dans un hôpital, qu’il soit public ou privé, doivent se dérouler dans un contexte neutre, professionnel et sécurisant. Et je ne trouve pas ça dans tous les services que Stela fréquente depuis un bout de temps. Bien sûr, nous avons croisé sur notre route des personnels très bienveillants et extra professionnels. Nous sommes ravis de les connaître et croisons les doigts pour que le jour de l’hospitalisation de Stela, ce soit l’un d’eux qui prenne en charge notre fille. Mais est-ce normal, au fonds, de se poser ce type de questions ? On se croirait dans un loto, à devoir choisir le bon pion pour gagner. Sauf qu’ici, ce n’est pas de ça dont il s’agit. Quand on fait partie d’un pourcentage des malchanceux touchés par une maladie grave ou par un méchant gène ayant bousculé le métabolisme d’un organisme, un pourcentage trop faible pour que l’on s’y intéresse de près, et bien on sait que porter les conséquences de ce « hasard » peut être trop lourd au quotidien. Et c’est aussi pour cela que nous sommes exigeants et demandons les réponses à nos nombreuses questions.
Lire le dossier du patient, c’est la base. Le lire tout court, ce serait bien. Le lire sans jugement et interprétations diverses donnant lieu à des questions maladroites, ce serait mieux. Pour éviter de secouer un mobile devant les yeux d’un enfant aveugle. Pour ne pas réveiller chez les parents le souvenir douloureux d’une naissance difficile, entre sage-femme incompétente et attente interminable avant l’arrivée du médecin-obstétricien. Lire le dossier pour mieux être informé et pouvoir donner des bonnes informations aux parents. Mieux les guider. Mais aussi les écouter et les entendre, accessoirement. Tiens, une anecdote à ce propos, toute fraîche qui date de cette semaine.
Un RDV tant attendu, pour la scoliose de Stela car non, elle ne tient toujours pas assise et oui, son hypotonie est toujours aussi sévère. « Tout comme son syndrome de West, la scoliose était prévisible chez votre fille », – nous diront les médecins. Ils aiment bien quand leurs prévisions deviennent réalité, cela ajoute du poids à leur métier et à leur égo surdimensionné, pour certains. Mais alors pourquoi la radio du rachis, personne ne l’a prescrite avant et elle a finalement été faite à notre demande car nous, parents, étions très inquiets en voyant le dos de la petite devenir une « virgule ».
Elle arrive au loin, parle fort. Elle recherchait un paquet de café ou je ne sais quoi. Mais alors il fallait que tout le monde sache qu’elle était là. Et ça n’a pas raté : Stela, un peu endormie dans sa poussette, s’est réveillée en sursaut.
Nous avons appris à les reconnaître de loin. Ceux qui sont là par passion, par vocation, par choix. Avec une attitude posée, sans jugement, un sourire bienveillant, une posture professionnelle. Et les autres. C’était une secrétaire d’un illustre docteur. Elle avec son attitude froide, lui nous regardant d’un œil savant. Peu bavards, tous les deux mais ayant l’air de détenir une vérité absolue sur tout.
La consultation a duré 10 minutes, à peine. L’attente, y compris l’interrogatoire de la secrétaire, a dû durer au moins une demi-heure.
Elle, ayant pris plein d’informations au préalable, au détour de mille questions maladroites et sans rapport avec le rendez-vous (du moins, à nos yeux), le tout ponctué de soupirs incessants. Si je devais en interpréter le sens, j’aurais tendance à penser qu’elle avait de la compassion envers nous. « Et ben, une méningite à 1 jour de vie … ?! ». Et moi, j’en ai envers elle, de la compassion, sans pour autant lui en vouloir. Pour son manque de professionnalisme, pour ses préoccupations inadéquates (Ok, un matin, on aime tous boire un bon café …) alors que la salle d’attente se remplit, pour ses ongles rongés d’ennui et de grisaille du quotidien. Pourtant, elle a l’air en bonne santé. Mais quel gâchis !
Lui, ayant lu en diagonale les mille et une informations qu’Elle avait notées. Il n’en a pas besoin car Il sait tout et sans même connaître Stela, il a déjà une idée d’appareillage à prescrire. Au cas par cas ? Mais bien sûr ! Un corset, ça ira. Inutile de vous expliquer à quoi ça sert, quelles évolutions possibles si on le met et quelles conséquences éventuellement si l’enfant ne l’accepte pas. Mais chuuuut, je vous ai dit au début qu’il ne fallait pas poser trop de questions ! Je ne sais donc toujours pas ce que c’est, un corset CTM.
Ensuite, Elle s’est perdue dans les papiers, ne trouvant pas une feuille qu’elle prétendait m’avoir remise. Elle l’avait tout simplement glissée sous la pile de dossiers, entassés sur un bureau mal rangé. Debout, sans savoir si l’on devait rester ou partir, Elle nous a dit : « Mais allez donc voir Antoine », puis, après nous avoir remis au moins 5 feuilles dont 2 ordonnances pour des radios à faire (et pour les dates, on fait comment ?), Elle a lancé pour finir : « Et n’oubliez pas de régler, c’est au secrétariat, plus loin». Bon, je n’ai pas tout compris mais visiblement, ce n’est plus l’heure des questions.
Antoine, mais qui c’est ? Mince, on regarde l’heure et on se rend compte que Stela est attendue dans un autre service car oui, quand nous venons à l’hôpital, les examens sont très nombreux ! Comme nos questions …
Je fais le tour du service et en voyant un homme, la porte entrouverte dans son bureau, je m’adresse à lui demandant si c’est bien lui, Antoine.
Inutile de vous dire qu’il a été désagréable car, m’a-t-il dit : « Je ne peux pas savoir que je dois voir votre enfant si l’on ne me le dit pas ». Pas faux. « Vous n’avez qu’à mettre la fiche dans ma bannette, comme ça je sais qu’un RDV m’attend ». Pas faux sauf que ce n’est pas un RDV qui vous « attend » c’est un être humain, une petite fille polyhandicapée qui n’a pas mangé depuis ce matin et qui s’impatiente dans sa poussette. « Vous pouvez m’attendre, je suis là jusqu’à 18h ». Ok. Mais on préfère partir car d’une part, nous avons un autre examen qui aurait déjà dû commencer, et d’autre part, ce n’est pas à nous de faire le job des autres, en termes de transmission d’information et de dépôt de je ne sais quelle fiche dans je ne sais quelle bannette.
Et nous sommes partis. Pour l’EEG. Un rendez-vous a été programmé avec Antoine donc mais plus tard. Comme ça, nous serons attendus et lui, le saura.
Et bien, à Antoine et à Elle, j’ai envie de dire que l’accueil d’un service public commence bien avant la consultation. Mais j’ai bien peur qu’ils s’en fichent et qu’une remise en question soit difficile à envisager. Parce qu’ils ont l’air « bien » dans leurs baskets, avec cette attitude « matcho » d’un supérieur hiérarchique venu d’un siècle dernier. Et il est bien dommage qu’il n’y ait personne pour le leur apprendre ou le leur rappeler. La fac, c’est fini et les formations continues sont demandées à l’initiative des intéressé-e-s. Si, peut-être que la vie s’en chargera : un jour, quand ils seront accueillis de la même façon, ils se souviendront peut-être de la petite Stela qui était venue pour une scoliose plus que grave pour son âge (30% de déformation sur une courbe fixe) et de ses parents, inquiets, en quête d’une solution personnalisée pour leur fille, et toujours avec mille et une questions qu’ils garderont pour une prochaine fois …
P.S. :
Ce récit aurait pu être transposé dans n’importe quel autre domaine d’activité, pas seulement le service « X » d’un hôpital. Nous ne les jugeons pas mais constatons qu’il suffit d’un peu plus de bienveillance pour qu’une journée à l’hôpital, stressante, se passe mieux. Mieux pour tout le monde.